Extrait de l'édito du n° 38 :
Ce numéro de L'Ami de Musée est consacré à un thème qui nous est cher, l'engagement de nos associations aux côtés des musées au titre de don.
Mécénat ou philanthropie? Le débat est réel.L'emploi du mot mécénat,notamment par la plupart des professionnels et des autorités, est une "tarte à la crème" qu'il convient de tirer au clair.
En effet, contrairement à ce d'aucuns voudraient, nous ne sommes pas des "collecteurs de fonds", quand bien même notre histoire fait de nous un relais majeur du don aux musées.
Ne serait-ce que parce que le don n'est pas seulement monétaire, ce numéro le montre très bien au travers de la variété des apports de nos associations aux collections et qui ne sont pas seulement d'argent!
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Retranscription du Déjeuner-débat sur "La gratuité des musées parisiens" :
En présence de Danièle Pourtaud, adjointe au Maire de Paris, chargée du patrimoine, Jean-Michel Raingeard Président de la FFSAM, Jacques Guénée Président du Groupement des associations d’Amis de Musées de la région Ile-de-France, et les représentants de divers musées et associations d’amis de musées.
Quelques minutes avant d’accueillir Danièle Pourtaud, le président de la fédération Jean Michel Raingeard ouvre le bal en rappelant la tenue prochaine de l’assemblée générale et la préparation de la revue de la fédération qui paraîtra en mars. C’est l’occasion de rappeler quelques chiffres représentatifs du travail effectué au sein de cette fédération : 80 associations, 150 000 heures de travail bénévole.
Après ces quelques mots, Jacques Guénée et Jean Michel Ringeard ont pu accueillir Danièle Pourtaud, qui est allé saluer chaque participant au débat (une vingtaine de personnes).
Danièle Pourtaud : « Pourquoi cette mesure a t-elle été décidée par l’équipe municipale à notre arrivée en 2001 ? La première raison est assez naturelle : C’était une promesse de campagne et nous l’avons mise en application dès le début de la mandature. La deuxième raison fondamentale pour laquelle nous avons choisi de le faire tient au fait que la gratuité est l’un des instruments de la démocratisation de l’accès à la culture. Cette démocratisation est un objectif politique porté par la gauche depuis des années. Je suis aussi bien consciente que cela reste un objectif. La gratuité est un outil au service de cet objectif.
La troisième raison est liée à la nature même des musées. C’était une manière de faciliter la double mission des musées qui consiste à mettre à la disposition du plus grand nombre un patrimoine devenu commun, et à participer à l’éducation populaire. On peut avoir des débats sur ces motivations, mais je crois qu’historiquement c’est assez peu contestable.
Ce qui est intéressant avec le recul, c’est de faire un bilan de cette mesure. Commençons par un bilan chiffré. La gratuité a permis d’augmenter très nettement la fréquentation des collections permanentes des musées de la ville. Par exemple, au musée Carnavalet l’augmentation a été assez considérable puisqu’elle a été de +132% la première année et de +173% la deuxième. La gratuité a permis surtout une multiple fréquentation qui est le fait principalement de parisiens et de franciliens. On a pu constaté, à travers des enquêtes et des questionnaires, que la gratuité a déclenché une évolution de la pratique de la visite dans les musées puisqu’elle a favorisé les visites multiples. Au musée Carnavalet, le taux de double visite était de 62% et le taux de triple visite de 45%. On a donc clairement une modification du rapport du visiteur au musée et aux collections permanentes. A travers la double ou la triple visite, les visiteurs recherchent quelque chose de différent de ce qu’ils cherchent lors d’une visite simple. Ils ont moins l’idée d’avoir une vision exhaustive, ils y retournent pour une visite ciblée. Cela a permis d’améliorer vraiment la connaissance des collections permanentes de la part des publics. Cela crée une relation plus intime et le visiteur peut s’approprier le musée en y allant avec une démarche plus précise.
Maintenant la question est de savoir si cela répond à l’objectif ambitieux de démocratisation de l’accès à la culture. La réponse n’est malheureusement pas vraiment positive : ce sont toujours un peu les mêmes, et cela correspond à ce qui est indiqué dans les différentes études sur les pratiques culturelles des français. On n’a pas élargi la base sociologique de nos visiteurs.
La gratuité est effectivement un bon outil d’appropriation. En même temps, cette mesure ne suffit pas à résoudre la question de savoir comment va t-on chercher ceux qui, comme disait Bourdieu, ne font pas partie des « héritiers » et ne vont pas spontanément se diriger vers les musées. Clairement la démocratisation de l’accès à la culture passe par d’autres vecteurs : la médiation par les éducateurs et par les personnels des musées. Il faut que les citoyens aient un accompagnement pour savoir ce qu’ils vont aller y voir et simplement pour oser franchir le pas, car l’autocensure est un des freins à la démocratisation. C’est pour cela que nous portons une autre ambition qui est de favoriser la formation et l’éducation artistique dès le plus jeune âge. Nous avons lancé l’opération « art pour grandir » qui réunit les musées, les centres de loisirs et les écoles. Cette coopération permet aux jeunes d’avoir une fréquentation régulière d’un musée, et de réaliser des travaux qui seront exposés au Petit Palais.
Sur le long terme, nous avons mis en place une autre opération, un jumelage entre une école et un musée, permettant aux enfants, à travers leurs différentes classes, de continuer à travailler avec le même musée, et de le découvrir différemment au fur et à mesure de leur progression.
Nous espérons avoir pris là des mesures concrètes qui permettront sur le long terme d’avoir des générations qui auront plus spontanément pris l’habitude de fréquenter les établissements culturels. Ces mesures sont valables pour d’autres disciplines et nous essayons également de nous y atteler. »
Jean Digne (Musée du Montparnasse) : « On constate souvent une baisse des ventes de catalogues lorsqu’une exposition est gratuite. Cela illustre le fait qu’il faut des mesures d’accompagnement autour de la gratuité : pouvoir proposer une nouvelle documentation moins scientifique à destination de nouveaux publics, etc. C’est le contenu des musées que l’on peut s’approprier. C’est en fonction des contenus que l’on peut adapter la relation avec une curiosité de société ; mais il faut que cette curiosité soit celle de partenaires et non de consommateurs. Là est le lien entre une société et ses lieux de mémoire, ou de production de la mémoire.
Table 1 / Yves Louchez : « Qu’en est-il réellement de la vente de catalogues ? Faut-il privilégier les supports électroniques ? Ces derniers ne sont-ils pas amener à disparaître compte tenu de la pression d’internet ? »
Danièle Pourtaud : « La question de la vente des catalogues d’exposition ne concerne en rien la question de la gratuité des collections permanentes. S’il est vrai qu’il y a peut-être un travail à faire sur l’adaptation des documents et notamment des catalogues d’exposition qui sont souvent destinés à un public « scientifique », je rappelle que la mesure de gratuité ne s’applique pas aux expositions temporaires. »
Jacques Guénée : Pourquoi les expositions temporaires ne seraient elles pas gratuites elles aussi ?
Danièle Pourtaud : « Quelqu’un a évoqué tout à l’heure la contrainte liée au prix du montage d’une exposition. Effectivement, les expositions sont en partie financées par les visiteurs et en partie par la Ville. On pourrait imaginer de rendre gratuites les expositions temporaires, mais cela n’est pas envisageable aujourd’hui pour des raisons budgétaires. »
Table 2 / Jean Louis Giraudel (Musée Promenade de Marly) : « On constate que dans l’esprit des gens, ce qui est gratuit ne vaut rien. N’aurait-il pas mieux fallu limiter la gratuité aux jeunes, bénéficiaires de minima sociaux, etc. ? L’objectif de fidélisation aurait pu être assurer avec un système de revisite gratuite.
D’autre part on constate l’efficacité de l’animation auprès des jeunes dans les musées, il faut continuer dans ce sens. Enfin il serait intéressant que la région propose des mesures similaires en Ile-de-France. »
Table 1 / D. Samsoen (Musée du judaïsme) : « Je ne suis pas d’accord, il ne sert à rien d’encourager les multiples visites, alors que l’objectif est bien la démocratisation de l’accès à la culture par le plus grand nombre. »
Danièle Pourtaud : « Effectivement je rejoins votre vision sur ce point. De plus, il est politiquement impossible de revenir sur une mesure telle que la gratuité. Alors, le principe de la revisite gratuite serait éventuellement envisageable pour les expositions temporaires, mais repose la question de l’équilibre financier. »
Table 3 / D. Varloot (Palais de la découverte, Musée des arts et métiers) : « On peut regretter qu’il n’existe pas de musée scientifique et technique à la Ville de Paris. La Mairie devrait aider ces musées à attirer un plus grand nombre de visiteurs, une coopération serait-elle possible sur le plan de la communication ? »
Danièle Pourtaud : « La Ville de Paris ne pourra en aucun cas subventionner un musée national. D’ailleurs, la démocratisation de l’accès à la culture est un objectif suffisamment noble pour que l’effort soit partagé avec l’Etat. Enfin, la Ville intervient sur le terrain scientifique et technique puisqu’elle finance entre autres l’ESPCI qui accueille en son sein l’espace Pierre-Gilles de Gennes. »
Table 4 / Annie Catillon (Musée Promenade de Marly) : « 4 suggestions sont ressorties de notre discussion, notamment dans le but de travailler davantage auprès des adultes :
- Organiser des actions avec les centres d’animation.
- Action auprès des comités d’entreprises au niveau de la région : les amis de musées peuvent faire des propositions de visites et de médiation.
- S’appuyer encore plus sur la communication par internet. »
Danièle Pourtaud : « Sur le problème de la démocratisation au niveau de la région Ile-de-France, la question est intéressante mais pas évidente à résoudre. Une mesure régionale serait complexe puisqu’on va se confronter à toute la typologie des musées : nationaux, municipaux, départementaux, associatifs. Or, tous ces niveaux de collectivités sont très attachés à garder leur compétence générale sur la culture.
Pour ce qui est de la communication, nous avons une marge de progression importante sur les sites de nos musées et la communication sur internet qui est un des outils pour attirer des publics qui ne viennent pas habituellement.
Concernant les actions à destination du public adulte, il s’agit d’un travail sur le long terme. Le travail avec les enfants va dans ce sens puisqu’il est nécessaire à la construction de l’identité. D’autre part, il faut trouver des médiations (les amis de musées, les comités d’entreprises...) qui permettent de franchir les barrières, d’augmenter la familiarité et aller plus loin pour toucher des publics qui n’ont pas encore cette appétence. Je souligne l’importance de cette médiation qui ne peut et ne doit pas être gratuite ; elle nécessite donc une volonté politique, une action structurée sur les procédures de médiation. »
JMR : « Quel est le niveau de prise en compte des associations d’amis de musées dans les politiques publiques ? Il y a un besoin de reconnaissance de nos activités, notamment l’éducation culturelle et artistique. Les conférences, les visites, les voyages, sont des « occasions de culture ». Les associations créent plus d’occasions que les institutions. Cette capacité n’est pas prise en compte dans la mise en œuvre des politiques culturelles. Les associations font partie des politiques culturelles, elles devraient faire partie de leur conception et de leur réalisation.»
Jacques Guénée : Merci à tous, le prochain thème a traiter sera donc la politique des musées pour la recherche de publics nouveaux. »
Les participants au débat :
Laurent Albaret // Jean Digne // Gilles Chazal // Marie France Le Corroler // Dominique Claudius-Petit // Yves Louchez // Roland Heilbronner // Marie France Heilbronner // Nathalie Renez // André Fage // Michelle Cartier // Claudine Cartier // Dominique Carton // Céline Recchia // Annie Catillon // Genneviève Lubrez // Jean Louis Giraudel // Françoise Païni // Clément Rebaud // Frédérique Blanchin // Camille Alhin // Denis Varloot // Delphine Samsoen // Marie Aude Monteil.
Représentants des musées :
L’Adresse Musée de la Poste
Association Musée du Montparnasse
Le Petit Palais, Musée des Beaux Arts de la Ville de Paris
Association Amis des Granges de Port Royal
Association Amis du Musée Ville-d’Avray
Association Territoires et Cinéma
Association Mémoire et Racines
Association Amis du Musée Dapper
Association Amis du Musée Français de la photographie
Coordination des Fédérations et Associations Culturelles d’Ile-de-France
Association Ricciotto Canudo
Association Amis du Musée Landowski
Association Amis du Musée Promenade Marly le Roi - Louveciennes
Association Amis du Palais de la découverte
Musée d’art et d’histoire du judaïsme